Je pensais au départ lui mettre un commentaire, mais comme finalement c'est un sujet qui touche beaucoup de païens, qui nous fait souffrir dans notre pratique et nos aspirations, je me suis dit que finalement, en faire un article pourrait être intéressant (en plus je me connais, je vais encore blablater trois plombes).
Le portrait de la sorcellerie que nous brosse Syne est vraiment idyllique. Pas la peine de se voiler la face, on a tous rêvé un jour, coincé(e)s dans un bus bondé en plein embouteillage, de vivre dans une cabane au fond des bois, sans télé ni Internet, avec un potager et un troupeau de chèvres, hurlant des grands "merde" rageurs au monde entier. On a tous regardé avec nostalgie vers le passé, en nous disant que noms de Dieux c'était mieux avant, que nos ancêtres se faisaient moins skier que nous avec nos déclarations d'impôts et nos horaires pointés, qu'ils vivaient tellement mieux que nous sans un MacDo dégueu à chaque coin de rue et des fringues fabriquées à Taïwan par des petits enfants pré-pubères destinés à finir leur vie en joujou sexuel pour touristes tordus. Regarder notre société me donne souvent la nausée. Les odeurs de carburant me bousillent les poumons, le bruit des villes me vrille les tympans, j'ai des envies de sacrifice humain quand je suis en forêt et qu'un petit trouduc passe à deux mètres de moi en moto en faisant voler de la terre partout.
Oui, moi aussi, souvent, je ne sais plus.
Donc bon, on a le choix. Soit on reste prostrés par terre à pleurer sur un âge d'or perdu, soit on fait avec, on vit avec notre temps, et on avance.
Et puis, je me dis que si je lisais le blog d'une sorcière du XVème siècle, je pense que je trouverai sûrement, entre des recettes d'onguent de vol et de fiches de plantes médicinales, les articles suivants :
- J'ai 35 ans, de l'arthrose partout, un pied bot et trois dents, la mort est proche.
- L'épidémie de grippe de cet hiver a fait 625 morts.
- L'Inquisition me court vraiment sur le haricot.
- Mon familier est un cafard père de famille.
- Ma fille de 12 ans est enceinte de son troisième enfant.
- Je rêve d'un monde avec une sécurité sociale.
Parce que oui, chaque époque a eu ses avantages et ses inconvénients, ses joies et ses horreurs, et regarder vers le passé en en brossant une image d’Épinal proprette et idyllique, c'est se mentir. Notre époque est certes trèèèès imparfaite, et plein de choses me donnent de l'urticaire à faire pâlir un alligator, mais maintenant j'essaie de ne retenir que le bon, et de faire contre mauvaise fortune bon cœur. Oui, j'aurais aimé vivre dans une cabane au fond des bois, à la cheminée fumante en hiver, filer ma laine, cultiver mon potager, travailler pour me nourrir, et pas dans un boulot abêtissant que je déteste, marcher ou monter à cheval pour me déplacer, ne pas craindre de bouffer des antibiotiques par inadvertance en achetant une salade, sorceller en forêt sans être dérangée, utiliser les ressources locales, le bois, les plantes, la terre.
Mais j'aime aussi manger des abricots, être remboursée par la sécu quand je fais masser ma pauvre papatte, lire des livres de tous les horizons, avoir du chauffage l'hiver, guérir de mes bronchites, penser un jour à avoir un bébé sans me dire que j'ai une chance sur deux d'y rester, pouvoir choisir de procréer ou non, épouser qui je veux, voire n'épouser personne et vivre en concubinage sans me faire lapider en place publique, pratiquer la sorcellerie en ne craignant que les moqueries, voyager en Bretagne en quelques heures et boire du café le matin quand j'ai la tête en vrac et le cheveu rebelle.
Oui, notre époque pue le carburant et le PVC. Mais bon, elle a aussi des avantages. Et puis de toute façon nous n'avons pas le choix, nous devons vivre nos vies malgré tout. C'est idiot de se mettre des barrières parce que la réalité ne correspond pas à nos aspirations, même si c'est frustrant. Mais la vie est frustrante, parfois.
J'ai longtemps eu l'aversion des matières synthétiques, comme Syne (et c'est toujours le cas) mais un jour un copain m'a dit, alors que je crachais mon venin sur le plastique : "et tu crois que c'est fait avec quoi, le plastique ? Avec du pétrole. Et le pétrole, ça pue, ça colle, ça pollue mais ... c'est une matière naturelle". Je me rappelle de ce problème de math que mon prof de cinquième nous avait posé pour le week end : en fonction du nombre de blocs de pierre et du poids de chaque bloc, nous devions calculer la masse de la Terre avant la construction de la muraille de Chine. On s'était tous arrachés les cheveux avec des calculs à rallonge, et notre prof s'était bien foutu de nous le lundi matin. Les blocs de pierre ont été taillés à partir de la roche terrestre, la terre avait donc la même masse avant et après.
L'Homme ne créé rien, il fabrique des choses avec ce que la terre lui donne. Même les matières synthétiques sont faites à partir de matériaux naturels. On ne fait rien venir d'ailleurs. C'est la Nature qui nous donne tout. On l'exploite mal, certes, mais on ne créé rien à partir de rien.
Alors non, je ne sens aucune énergie dans le plastique pour autant, mais quelque part, c'est rassurant.
Je n'aime pas plus mon époque, je n'aime pas plus la société dans laquelle je vis, mais j'apprends à faire avec et surtout j'interdis à tout ce que je déteste de me freiner. Il n'est pas question que je me mette des restrictions pour toutes ces choses qui me hérissent. Au contraire, vivre ma vie de sorcière malgré tout, ramasser du datura sur une friche en me foutant des gens qui me regardent bizarrement, récolter la sève des pins pour en faire de l'encens alors que d'autres achètent de l'oliban de l'autre bout du monde, pratiquer en forêt sans prêter attention aux promeneurs me donne l'impression de combattre un peu toutes ces choses qui m'agacent, comme mes ancêtres ont pratiqué malgré l'Inquisition.
Je suis Sorcière. Quoi qu'il arrive.