Ses champignons.
On s'en fiche, en rentrant le soir, fourbus et crottés, des brindilles plein les vêtements, on trimbale fièrement un panier plein, qui garnira allègrement omelettes, pâtes, soupes, gratins, poêlées ...
Et tambouilles de sorcière.
Parce que, très tôt, peut-être même plus tôt que les plantes, les champignons se sont fait une place de choix dans ma pratique. C'est normal, vous me direz, je les connais depuis que je sais marcher, ce sont devenus des amis. Je les appelle par leurs noms, ceux qu'ils préfèrent, je connais leur odeur, leur texture, et, pour certains, leurs saveurs. Toute gosse déjà, j'en mettais certains de côté pour mes sorts de petite fille, les plus tordus, les plus colorés, ceux qui m'attiraient. Je les jetais dans mon chaudron pour des "potions magiques" que je répandais avec grande cérémonie sur le seuil de la maison pour la protéger, ou les faisais sécher, sagement alignés comme des petits soldats, sur le radiateur de la cuisine, pour les glisser dans des sachets.
Mais je les cherche toujours comme des trésors, tous ces empoisonneurs, je guette le chapeau tacheté de l'Amanite Panthère, le blanc cireux de la Phaloïde (la seule que je n'ai jamais osé récolter, elle m'inspire trop de respect), les couleurs étranges du Bolet Satan (une vraie rareté, celui-là, je n'en ai trouvé que deux dans toute ma vie de sorcière forestière) ...
En manger est en soi une petite cérémonie, que j'accomplis souvent pour soutenir un travail de divination, de nécromancie ou de travail avec les esprits (je leur en laisse en offrandes, aussi) mais tous ne sont pas bons à se mettre sous la dent. Alors je les brûle, je les broie, les réduits en poudre, les fais bouillonner, les enferme dans un sachet, les jette aux quatre vents, les hume, les malaxe, les mets en bocaux ... Chacun a un usage favori. La Tue-Mouche, c'est la fumigation, pour ouvrir mes sens et lire clairement les divinations les plus brutes. La Trompette, je la mange crue, à peine ramassée, pour communiquer avec les esprits sous le couvert de la forêt. La Panthère, c'est séchée et en sachet qu'elle protège ma maison des agressions surnaturelles. Le Cèpe, cuit et préparé, apporte sa bénédiction aux âmes fatiguées. En magie, chacun a ses vertus, ses pouvoirs, ses atouts, ses dangers. On ne les trouve pas dans un livre. Pour les apprivoiser, il faut s'armer de patience, d'un panier ... Et aller les ramasser !