Sujet délicat.
Avant toute chose, je tiens à préciser que je vais distinguer peur et phobie. Des phobies, j'en ai plusieurs, phobie des araignées, des espaces confinés, des clowns, des escaliers en colimaçon, des masques, des visages figés en général, de l'amputation, des escalators et de la saleté (oui, c'est une phobie, et c'est même très handicapant, mais ce n'est pas le sujet).
Une phobie, c'est une peur démesurée pour quelque chose qui, le plus souvent, est un symbole inconscient. Par exemple, si j'ai la phobie des clowns et des masques, c'est parce que je ne peux pas voir le vrai visage en-dessous. Pas besoin d'être Freud pour comprendre que cela vient d'une crainte d'être trompée, abusée, manipulée, trahie.
Mais la peur, c'est autre chose.
Suivie du soulagement, la peur est une complice fabuleuse de blagues, farces et films d'horreur en tous genre. Qui n'a jamais hurlé de terreur en voyant quelqu'un surgir de derrière la porte de la cuisine, en réalisant dans la seconde suivante que c'était juste ce bon vieux Jean-Derrick, le beau-frère un peu couillon, qui faisait une bonne blague potache avec un abat-jour vissé sur l'occiput. Qui n'aime pas frissonner devant un film d'horreur pour ensuite se blottir bien au chaud sous les draps dans sa maison fermée à clef, ou se faire des cheveux dans la file d'attente d'un rollercoster ? La peur est parfois un moteur, mais, comme le bon café, tout est dans le dosage.
Je n'ai pas l'habitude de l'étaler sur le net, mais j'ai pratiqué le spiritisme et la nécromancie, étant ado. Un truc plutôt sympa, pas trop glauque, mais qui nécessitait quand même que je creuse des p'tits trous dans la tombe de mes arrières-grands-parents à la nuit tombée (époque bénie où j'étais encore assez souple et téméraire pour escalader une grille de cimetière), et qui déplaçait des objets chez moi en me faisant tourner chèvre quand je dégainais ma planche oui-ja. Le pire, c'est que, loin de me terrer de frayeur, ces petites manifestations d'esprits m'amusaient. Il a été difficile d'arrêter. Le petit rigolo qui planquait mes stylos et arrêtait toutes les horloges en même temps m'a beaucoup manqué.
Mais bon, l'expérience aidant, je me suis aperçue que ce n'était pas sain, comme travail. Travailler avec les esprits ne devrait pas être entrepris par une gamine de 14 ans, aussi attractif que ce soit. Et même si parfois j'aimerais encore avoir l'avis de mes aïeuls en collant mon oreille contre la terre de leur sépulture, je préfère leur foutre la paix.
Mais bon, contrairement à une idée reçue, il est plutôt difficile d'avoir peur dans un cimetière à la nuit tombée. Déjà parce que vu les talents d'escalade qu'il faut déployer pour y entrer, on doute franchement de tomber sur quelqu'un d'autre que son ombre. Ensuite parce que les agresseurs ne sont pas fous, ils vont se planquer là où ils pourront trouver quelqu'un à agresser, ruelle en pleine ville, parcours de jogging, métro de nuit ... Des lieux où l'on rencontre des gens isolés. Des gens vivants. Un cimetière, euuuuh ... Au pire, on tombe sur une bande de nouilles qui font des tags sur les tombes et partent en courant et piaillant de trouille dès qu'ils entendent un bruit.
J'ai plusieurs fois fait des sorties d'observation avec la LPO ou ces hypocrites de l'ONF, respectivement pour rencontrer les chouettes et entendre le brame du cerf, et même si je n'ai jamais eu peur parce que je savais que je n'étais pas seule (même si on s'éloignait parfois beaucoup les uns des autres, le talkie walkie a un pouvoir rassurant que le couteau n'a pas)(parce que oui, se servir d'un couteau contre un agresseur, ça fait peur aussi, on n'est pas tous des serial killers en puissance), je me suis souvent imaginé la chute que pourrait faire mon trouillomètre si j'avais été isolée.
Mais les pires peurs de ma vie, je les ai eues en ville, parmi mes semblables. Être suivie dans une ruelle à 23 h par un type qui dix secondes plus tôt m'avait chopé le bras en me disant de venir chez lui prendre un verre et qu'on allait "bien s'amuser" en me regardant avec la même tronche qu'un affamé devant un plat de steak-frites, ça a de quoi filer des nuits blanches, surtout quand, à l'abri derrière ma porte d'entrée triplement verrouillée, je m'étais aperçue en regardant par la fenêtre qu'il était encore planté dans la rue, devant chez moi, comme un poireau dans une plate-bande, à m'y attendre. L'horreur absolue. J'ai passé plus d'un an à rentrer chez moi au pas de course, sans respirer, les mains crispées dans mes poches sur mon couteau suisse et le gaz lacrymo que j'avais acheté illégalement (parce que je suis une saleté de trouillarde rebelle).
Cette peur-là, elle ne galvanise pas. Elle est moche, elle est lourde, étouffante, paralysante, tuante, comme un boulet atrocement pesant que l'on se traîne et qui nous répète en boucle qu'on va non seulement mourir, mais surtout souffrir.
Mais souffrir, par contre, c'est autre chose. Je ne suis pas particulièrement douillette, mes nombreux séjours à l'hôpital ont dû m'endurcir (tenez, pas plus tard qu'hier, une infirmière extrêmement douée a fait trois tentatives dignes d'une élève bouchère avant de réussir à me planter un cathéter dans le creux du coude correctement, et encore, en laissant des flots de sang s'échapper parce qu'elle n'avait pas pris en compte le fait que je sois légèrement hémophile. Voir ces trois machins plantés dans mon bras au milieu d'un bouillon d'hémoglobine m'a fait tellement mourir de rire que je n'ai même pas senti quoi que ce soit). Le mois dernier, je suis allée travailler avec un doigt brûlé au 3ème degré sous un simple pansement que j'avais mis vite-fait pour ne pas être en retard (j'ai fini à l'hôpital 12h plus tard à me faire engueuler parce que j'avais fait un choc septique et que j'avais presque 40 de fièvre. Et j'avais conduit). J'ai failli m'endormir en me faisant tatouer. A six ans, j'ai marché toute une journée sans rien dire à personne avec une aiguille à repriser plantée de part en part dans mon gros orteil, parce que je ne voulais pas qu'on se moque de moi.
Ce n'est pas quelque chose de glorieux, comprenons nous bien, parce que du coup, souvent, je me fais soigner très (trop) tard.
Mais la souffrance infligée par cruauté, la torture, ça c'est autre chose, et ça me terrorise. Et je sais que tant de gens adorent infliger ce genre de traitements à leurs semblables. Et ça me terrorise encore plus.
J'ai peur des gens.
Du coup, j'ai peur d'accorder ma confiance. Et, du coup, quand je tiens quelqu'un en haute estime, j'ai peur de décevoir, de mal faire, de déplaire. C'est assez amusant d'ailleurs, parce que mes peurs de ce style varient énormément en fonction des gens que je fréquente.
Etudiante à l'IUFM, je haïssais tellement tout le monde, des profs jusqu'aux autres élèves, que je me faisais une joie de décevoir et de déplaire. Je m'habillais provoc, j'avais une attitude d'ado rebelle, je méprisais tout le monde et je cumulais les avis exécrables, par rejet.
Apprentie journaliste, j'aime tellement ce milieu que je vis dans la crainte de faire une connerie, de passer pour une gourde et que je me sens comme une gamine stupide et mal dégrossie au milieu d'un gang de tops models badass.
Surveillante de nuit dans un lycée, j'ai un avis tellement neutre que je ne ressens ni crainte ni rejet et que je ne me pose jamais aucune question sur mon attitude.
Et je n'ai pas trouvé la chute.
Donc voilà.
Toutes les photos utilisées pour illustrer cet article sont issues d'un vieux shooting que j'avais fait en 2011 à l'occasion d'Halloween. Elles semblaient appropriées.
.:. La peur, cette fidèle (Loü)
.:. The existential terror of the void (Toad)
.:. Pharame (Nuno)
.:. "Ce sera au tour de l'obscur d'avoir peur car tu ne seras plus la proie tu seras le chasseur" (Yume / Lunacide)