Si ma pratique a beaucoup évolué ces dernières années (voire décennies, ahem, voici venu le temps de l'arthrite et de l’ostéoporose), je m'aperçois que ma tradition de Beltane, elle, est restée globalement identique depuis au mois onze ans (date à laquelle j'ai tenu un vrai journal de sorcière pour la première fois). C'est toujours curieux de voir à quel point, malgré vents et marées, certaines choses restent immuables. Curieux et rassurant, aussi. Un peu le genre de choses qui vous rappellent que votre Voie suit son petit bonhomme de chemin sans vouloir forcément vous coller dans les orties tous les trois pas et demi.
Je ne vous dirai pas ce que je fais pendant cette nuit-là. Parce que ça ne regarde que moi, déjà, et parce que, malgré ma blablatante habitude de blogueuse et ma présence sur quelques réseaux sociaux, je n'oublie pas que Se Taire reste un des piliers de la voie. Reste à faire le tri entre ce que l'on dit et ce que l'on tait. Je vous dirai donc simplement que cette nuit est pour moi le domaine de l'Ombre, de la flamme, de l'intérieur et du silence.
La journée de Beltane, elle, est depuis les débuts de ma pratique saisonnière dédiée à la Lumière, à l'oxygène, à l'extérieur et au foisonnement de la vie printanière. Cette année n'a pas dérogé à la règle, aussitôt mes corvées de malheureuse représentante de l'espèce homo sapiens, j'ai attrapé mon panier, ma bolline, une fiole de lait de chèvre, et je suis partie en vadrouille dans mon Coin adoré.
Ma mission, si je le veux bien, mon capitaine ? Dénicher les branches de Blanche Épine, Bois Joli, Épine de Mai, Cenellier des Haies, Spern Gwen, autrement dit ... Aubépine.
Cette année, quel bonheur, il avait fait chaud et ensoleillé dans ma région plusieurs jours fin avril, la jolie demoiselle immaculée était plus belle que jamais ! Ce fut sans doute la plus belle récolte depuis six bonnes années, les mois de mai précédents ayant été ruinés par la pluie ou le gel (en particulier en 2013 et 2016, où c'était carrément catastrophique sans une seule fleurette à l'horizon, mais des mares de boue à perte de vue).
Aujourd'hui, je me connais un peu mieux, je sais donc à peu près ce dont j'ai besoin pour tenir largement jusqu'à Beltane prochain. Mais, plus jeune, je me suis tellement souvent arraché les cheveux en me retrouvant à cours de la précieuse denrée dès le mois de novembre que j'ai failli finir chauve.
Déjà, mieux vaut trouver l'Arbre Ami. Celui qui vous verra approcher d'un œil bienveillant, vous, vos gros sabots et votre panier, et ne s'en offusquera pas. Les années maigrichonnes, vous risquez de faire pas mal de kilomètres avant d'en trouver un pas trop épluché par les intempéries, qui consentira à vous laisser l'écharper encore un peu plus.
Ensuite, le saluer, comme vous le feriez avec tout être doué de conscience que vous trouveriez sur votre route, si vous avez été élevé(e)s dans autre chose qu'une grange à fumier. En bonne Pie Bavarde, qui se fiche pas mal de se faire dévisager de haut en bas par le paysan du coin, un peu perplexe de tomber sur une greluche en dentelle au beau milieu d'une haie vive, je procède à haute voix. Mais si vous êtes du genre discret, faites-le en pensées. La fée vous entendra.
Après ces formules d'usage et seulement après, vient la demande. En mode Pie-Greluche, donc "Dis-moi dis-moi, ma jolie-jolie, quelle branchounette veux-tu bien me donner ?". Le tout avec une intonation de princesse Disney, il va sans dire. Ou, là encore, en pensées. Et on attend. On est patient. On laisse l'arbre réfléchir, peser ses branches, se demander laquelle finalement ne lui est pas si indispensable, le laisser seul décider de laquelle il va vous laisser. Imaginez que vous demandiez l'aumône à un passant, dans la rue. Vous n'allez pas fouiller vous-même dans son portefeuille, si ? Et bien là, c'est pareil. Attendez qu'il vous tende obligeamment la-dite branchounette avant de vous jeter dessus comme la misère sur la Tiers-Monde. Et si rien ne se passe, si vous ne ressentez rien, si aucune branche ne semble volontaire pour se faire découper à coups de lame, allez-vous en en remerciant quand même et en vous excusant du dérangement.
Vous l'avez trouvée ? La seule, l'unique, la bonne, donnée de bon cœur ? Coupez-la proprement, sans casser le bois n'importe comment, avec une lame bien aiguisée, consacrée à la cueillette. Et payez l'arbre pour sa générosité (vous ne pensiez pas vous en tirer gratuitement non plus ?). L'Aubépine adore le lait. Et pas le lait de soja, on est d'accord. Donnez-lui du bon lait bio, riche, blanc et sans lésiner sur la quantité. Il ne s'agit pas de jouer les Harpagon.
Je donne du lait de chèvre, du lait de ferme, parce que c'est celui que je bois. Ce que l'on donne doit toujours être un sacrifice, quelque chose que l'on aurait pu consommer soi-même, mais dont on se prive volontairement. Si je donnais du Candia piqué dans la bouteille de mon barbichu, où serait le sacrifice ?
Et je laisse un pourboire. Une mèche de cheveux, arrachée de mon crâne, et pas coupée, parce que cela doit faire mal. Après tout, je viens de blesser un arbre, je peux bien tirailler un peu mon cuir chevelu. On n'a rien sans rien.
Surtout ne tuez rien. Surtout pas les insectes qui vadrouillent sur le feuillage. Ils sont ici chez eux, c'est vous l'intrus(e). S'ils sont sur votre branche et que vous ne souhaitez pas en faire vos colocataires, ôtez-les délicatement avec une branchette, votre doigt, le manche de votre bolline, pour les reposer sur l'arbre. Après tout, l'un d'eux est peut-être la fée déguisée, pour tester votre bonté ...
Et pourtant c'est dans ces moments-là, dans la solitude de la cueillette, auprès des arbres, des plantes, des fleurs, des mouches, des abeilles et des chenilles velues-poilues-touffues, que je me sens sorcière comme jamais.