Quand j'ai débuté sur les voies sorcières, c'est à dire quand j'ai vraiment commencé à me poser des questions sur ma spiritualité, sur ce en quoi je croyais, ce en quoi j'avais envie de croire et ce que j'avais envie de faire de mon énergie, j'étais seule.
Je veux dire, vraiment seule. Pas de copine sorcière pour partager tout ça, et surtout, surtout, pas d'internet. Vous imaginez, vous qui êtes nés dans les années 2000, pas d'internet c'est donc pas de forum, ni tonton Wikipedia, ni papy Google pour faire des recherches, pas de Facebook, pas d'Instagram, pas de blog, rien, nothing, niet nada. Isolement digne d'un iceberg à la dérive en plein océan arctique (et sans le Titanic).
Il n'y avait donc que moi, ma grand-mère bouteuse de feu, mon père qui magnétisait tout ce qui lui tombait sous la main sans trop savoir comment ça marchait, et des livres. Ceux de la bibliothèque locale, parce que du coup, Amazon non plus n'existait pas (et en librairie, les livres ésotériques, c'était très difficile à trouver). Et la brochette proposée ferait aujourd'hui grincer les dents de bon nombre de païens/sorciers/padawan. Grand et Petit Albert, Dictionnaire infernal de Collin de Plancy, Malleus Maleficarum, Traité de Haute Magie d'Eliphas Lévi, et un recueil de contes russes ont été à une vache près les seuls "contacts ésotériques" que j'ai eu pendant mes dix premières années de "vraie" pratique (c'est à dire à partir du moment où j'ai su que plonger un escargot dans la bière pour lui faire écrire des messages prophétiques sur une ardoise était de la magie).
Aujourd'hui, quand je reçois certains messages par mail, sur ce blog ou sur ma chaîne Youtube, je me demande ce que serait devenue la plupart des aspirants sorciers, si eux aussi avaient fait leurs premiers pas au siècle dernier. Parce qu'aujourd'hui, dans notre ère connectée, pas la peine de se mentir, on a l'habitude d'ouvrir grand la bouche et d'attendre que tout ce que l'on demande nous tombe tout cuit et assaisonné dans le bec.
"Je veux être une sorcière, aide-moi". Oui heu ... Bonjour, s'il te plait, merci ? Non ? Ah, bon ...
"Enseigne-moi tout ce que tu sais, je veux être comme toi". Reçu ce matin. Je m'en suis étranglée avec mon Granola. Très cher anonyme, as-tu par hasard 29 ans à me consacrer, là, maintenant, tout de suite ?
"Je veux un charme pour que ma prof me mette de meilleures notes". À vos ordres, maître, je vais vous dévoiler l'obscur et mystérieux secret puisé dans les sombres arcanes des traditions ancestrales des moines-guerriers-boulangers-traders de l'ordre babylonien perdu de la Banane Mystique des révisions ... Tatataaaaam ...
Sans oublier ceux qui, quand je ne réponds pas dans les trois minutes, me renvoient le même message. Inlassablement. Dix-sept fois. Pour m'avoir à l'usure, sans doute. Un peu comme le gamin qui tire sur la manche de sa mère, au téléphone, en couinant mamanmamanmamanmamanmamanmamanmamanmamanmamanmamanmamanmamanmaman mamanmamanmamanmamanmamanmamanmamanmamanmamanmamanmamanmamanmaman mamanmamanmamanmaman. Parce que oui, on est censés être connectés toutes les trois minutes. Au moins.
Quelqu'un m'a même dit, quand je lui ai parlé un peu de ma verte jeunesse "oh la la, je ne sais pas comment tu as fait, ça a du être horrrrrrible de devenir sorcière alors qu'il n'y avait rien".
Rien. Donc, aujourd'hui, sorciers, sorcières, oyez, oyez, si vous n'avez pas internet, vous n'avez donc RIEN. Pauvres de vous.
Rien que ce matin, encore (oui le mardi matin c'est checkage de boîte mail) (oui, je ne le fais qu'une fois par semaine parce que je suis une sale réac'), une jeune fille visiblement un peu perdue m'a envoyé ce message (je me permets de le reproduire) "Bonjour, j'aimerai savoir ou peut-on trouver les dates de fêtes païennes ? car j'ai plusieurs livres, mais par exemple pour Imbloc, certains me disent 1er février et d'autres le 2 février ... merci beaucoup" Ce a quoi j'ai répondu que les sabbats n'avaient pas de dates exactes, seulement des fourchettes approximatives, car techniquement ils dépendent de manifestations naturelles, mais qu'on pouvait aussi les fixer au moment où le soleil était pile poil à 15° du signe correspondant.
Indigeste ? Oui, clairement. Je me dis que finalement, avec ce trop plein d'infos, j'ai dû la perdre encore plus. Il y a quelques années, je lui aurais sûrement répondu "va voir s'il y a des perce-neige dans ton jardin / si les brebis de ton voisin ont mis bas et si oui, c'est que c'est bon !"
Conclusion ? Loin de nous faciliter la vie, la surabondance d'informations et leur accessibilité hyper facilitée nous la complique, au contraire ! Tout le monde donne son avis, et comme souvent personne n'a tort, ni raison, on se retrouve à se demander quoi faire, quoi croire, qui suivre, sans se poser finalement la question essentielle : et MOI, dans tout ça ? Qu'est-ce que JE veux faire ? Quel chemin ai-JE envie de suivre ? Pour MOI. Et pas parce que tel ou tel bloggeur me plaît et que j'ai envie de faire pareil (c'est bien de trouver de l'inspiration chez les autres, mais n'oubliez pas que les blogs/chaînes/comptes ne dévoilent qu'une infime partie de qui ils sont vraiment. Croyez-moi, vous n'avez pas envie d'être moi. Il y a plein de choses dans ma vie qui sont beaucoup moins reluisantes que mon éblouissant coup de poignet pour tourner les potions).
Je le constate de plus en plus, même (et surtout d'ailleurs) pour moi. Internet nous noie. Trop d'info tue l'info.
Dans les années 90, je trempais (donc) des escargots dans de la bière. J'ai commencé des divinations instinctives (vous savez, le fameux truc de gosse, "si je vois trois Twingo en allant à l'école, alors ça veut dire que Jean-Helmut m'aimera avant la fin de la semaine"), des charmes de gamines accroupie dans mon jardin, ou à genoux dans la mousse de la forêt. Sorcière en culottes courtes, je ne me demandais pas où j'allais, à quelle voie j'appartenais, pourquoi, où, qui, comment, dans quelle étagère. Fin 90, j'étais un rat de bibliothèque, j'avais lu le Malleus et les Albert, fouiné pour dégoter une copie des Clés de Salomon et commençais à sentir que tout ça était plus profond que je ne le pensais.
Dans les années 2000, j'ai mis le mot "paganisme" sur ma ptite personne, grâce à Marie des Bois. J'ai commencé à trouver des bouquins (ma pauvre mère a passé des heures à faire éplucher des catalogues aux libraires pour me les offrir) car l'ésotérisme commençait à devenir moins tabou. J'étais ado, donc je réfléchissais beaucoup plus à ce que je faisais (ce qui n'est pas nécessairement une bonne chose). J'ai lu énormément, visité, parlé à des gens. Construit une pratique plus élaborée. Même rencontré (fin 90 début 2000) des copines avec qui tambouiller, loin du mot coven qui n'existait pas encore en France.
En 2004, j'ai eu internet. Révolution. À l'époque (oui, ça fait vieille pomme, mais c'était il y a 12 ans tout de même), c'était formidable. Il y avait relativement peu de sites, donc on était moins tentés de multiplier les sources (douteuses), ni Facebook ni blogs (ou très très peu). Mais il y avait (wait fo it) les forums ! Les fabuleux, les merveilleux forums !
Oh quelle joie d'avoir enfin des gens à qui parler, des infos à demander, des avis à partager ! Une manne pour les rats de bibliothèque en mal de papote. J'ai fait de superbes rencontres, à cette époque, partagé énormément de choses, avancé à vitesse grand V.
Et puis, quelques années après, les blogs sont apparus. C'était super, un moyen d'entrer un peu dans la pratique (et non pas l'intimité, pas encore) des autres pratiquants, voir comment ils faisaient, ce qu'ils construisaient. C'était une opportunité de partage formidable.
Forcément, j'ai eu envie de me lancer. Et même si depuis j'ai changé de crèmerie plusieurs fois, je ne l'ai jamais regretté.
Années 2010, Facebook de plus en plus populaire, beaucoup de forums ferment pour se retrouver là-bas, beaucoup de blogs aussi. Le hic ? Il faut le dire franchement, Facebook, c'est le bordel. Pour retrouver une info là-dedans, entre les pubs et les citations philosophiques bourrées de phôtent d'aurtaugrafe, il faut un doctorat d'archéologie. Tristesse. J'ai mis longtemps à m'y inscrire (au départ pour rester en contact avec des amis, qui me tannaient depuis des années) pour aujourd'hui ne garder mon compte que pour le boulot. Les partages sont devenus trop importants (oui, je me fiche éperdument de ce que les gens ont mangé à midi, ou de savoir que leur gosse a la gastro, ou de les voir afficher un mystérieux statut tel un appel à solidarité-pitié-regardez-moi-le-nombril : "se sent affreusement mal" sans aucune explication) et on a laissé tomber la sincérité pour aller vers le paraître.
Attention, je ne dis pas que tout le monde emploie Facebook pour ça. Certains y postent des choses très intéressantes, mais elles sont noyées, hélas, dans la masse des tests "découvre la traduction du prénom Kévin en démotique ancien" ou "si tu étais une devise monétaire, combien coûterais-tu ?"
Peu de blogs ont survécu. Encore moins de forums. On est tombés dans une génération hyper-connectée, déconnectée, du coup, du vrai monde, de ses cycles et de ses logiques. Je suis un peu dedans, hein, entre ce blog, la chaîne et instagram. Mais j'essaie de prendre le plus de distances possibles, et surtout de ne pas vous montrer mon quotidien (parce que je sais que vous vous foutez de savoir que j'ai mangé du comté à midi après ma Danette au chocolat parce que je suis une ouf malade qui aime transgresser les diktats de la gastronomie) et surtout mon intimité. Non, les photos que je poste sur Instagram ne sont pas prises pendant mes rituels, elles n'en sont que des reproductions, des mises en scènes, dans lesquelles j'enlève ce que je ne souhaite pas montrer. Non, je ne vous posterai pas mes tirages de tarot / l'intérieur de mon grimoire parce que je vous adore, mais ça ne vous regarde pas. Et j'apprécie énormément ceux qui gardent, eux aussi, un jardin secret. J'aime entrer chez les gens quand j'y suis invitée, pas regarder en douce par leurs fenêtres.
Et puis ont commencé à arriver les ... Pensées Positives (tatataaaaaam).
Et là, par contre, j'ai décroché, hein.
Je veux bien admettre qu'il faut mettre de la lumière dans sa vie, mais bon, personnellement, trop de lumière me colle la migraine. Et là, disons-le tout net, les Penseurs Positifs ont ramené des projos. Des gros. Qui font tellement de lumière qu'on ne voit plus rien. Arg.
Penser positif tout le temps, par contre, je suis désolée, mais ça ressemble à une maladie mentale, à mes yeux. Je connaissais quelqu'un dans ce mood-là, qui m'avait complètement choquée quand, une amie lui annonçant que ça se passait très mal dans son boulot (harcèlement moral et gros soucis administratifs l'empêchant d'être auprès de ses proches qui faisaient face à une terrible maladie) lui avait répondu "mais c'est génial, ça te fait une expérience de vie et te donne l'opportunité de devenir meilleure, tu devrais être reconnaissante à la vie !"
Euh ... Non. Pas là. Je suis désolée, mais dans ce genre de cas, tu laisses le sourire Colgate au placard et tu vas porter plainte / voir un psy pour gérer les dégâts / pleure avec tes proches.
Ressentir des émotions négatives, c'est NORMAL. Nous ne sommes que des êtres humains. Les animaux, qui se foutent éperdument de savoir ce qui est bien ou mal, en éprouvent aussi (les crises de jalousie de feu ma chère Charlotte en étaient un bon exemple, et je suis certaine qu'elle a planifié plusieurs fois l'assassinat de Josette). Il faut arrêter de vouloir ressembler à l'image d’Épinal que l'on se fait de la spiritualité (la prêtresse parfaite détachée totalement du négatif qui n'est qu'amour, chante la vie et danse la vie) pour se remettre à notre place d'humains. Avancer et s'améliorer c'est bien, se mettre un masque sans trou pour les yeux et foncer dans le mur avec le sourire, c'est moins reluisant.
Aujourd'hui, je suis un peu attristée de voir que beaucoup ont une personnalité dictée par des règles imposées (souvent auto-imposées d'ailleurs) pour rentrer dans le moule. Chacun se dit original, mais à force d'aller voir ce qu'il se passe chez les autres, on vire vite caméléon. Des soit-disant celtes-100%-pur-jus virent vikings sans préavis (et avec pour seule source ce qu'ils ont entendu d'une copine qui s'y intéresse vraiment et trois saisons de Vikings), des sorcières pratiquantes laissent tout tomber pour ne faire que des méditations et des gratitude friday, on écrit en runes à tort et à travers (en écrivant le "th" anglais avec les runes Tyr et Hagal, hein, pas la peine d'utiliser Thorn qui est là pour ça, ce serait trop simple), d'autres encore idéalisent la Nature comme si elle était un havre de perfection inaccessible dans lequel le vilain et sale être humain n'a pas sa place (sauf eux, bien entendu) ...
Mais combien aujourd'hui pratiquent encore ? Je veux dire vraiment ? La sorcellerie est passée de mode, sans doute parce qu'elle est moins bling-bling (et oui, il y a un paragraphe "secret" dans la pratique de la magie, vous savez, le fameux oser-vouloir-savoir-se taire. Se taire ? Quelle horreur, on ne peux pas le mettre sur Facebook alors ? Mais ça ne sert à rien ! Pourquoi se lancer dans une pratique spirituelle si on ne peut pas la montrer fièrement à son voisin ?).
Maintenant, être dans le coup, c'est être le résultat d'un croisement hasardeux entre un guerrier Viking (ben oui, les paysans sont quand même moins classes) (quelle époque ? Comment ça quelle époque ? On s'en fout de l'époque non ? C'est vieux, et ça vient du Nord, c'est l'essentiel, non ?) et un moine bouddhiste. Mais avec des cheveux. Et qui mange des cupcakes.
Je préfère encore être un druide en short de plage.