La sorcière en milieu naturel.
Seulement l'appartement dans lequel nous vivions, ma mère et moi, était hanté. Le locataire précédent s'y était pendu, dans le grenier, juste au-dessus de ma chambre, et il se passait tout un tas de trucs bizarres qui ont fait que nous avons déménagé l'année de mes 5 ans. Depuis, personne n'y est resté plus de quelques années, et la jeune femme qui a pris notre suite a été frappée d'une tragédie, puisque son bébé y est décédé de la mort subite du nourrisson.
Ma mère, fille de la campagne née dans un minuscule bled de l'Auvergne profonde, a choisi un quartier excentré de la ville, en bordure de la campagne (à peine 4 minutes à pieds et on peut se perdre dans les champs et tomber nez à nez avec une vache en fugue). J'y ai vécu avec elle jusqu'à mes 17 ans, et je suis tombée amoureuse de ce quartier. Je m'y suis sentie à ma place, heureuse et épanouie. J'ai trouvé des coins de cueillette fabuleux, des arbres creux habités par des chouettes que j'allais écouter hululer la nuit, une famille de belettes que j'allais saluer à chaque printemps. J'ai regardé les peupliers grandir dans le parc accolé à mon jardin (un parc qui est en fait un espace planté de peupliers où la municipalité avait planté une malheureuse balançoire, un paradis pour les gamins du quartier). De l'autre côté, il y avait un champ rempli de campagnols où un monsieur, qui avait un poulailler et un coq qui chantait à cinq heures de l'après midi, mettait parfois son poney pie à brouter avec une ou deux chèvres.
Depuis, la zone s'est construite, il y a trois maisons toutes neuves dans le champ du poney qui est mort depuis longtemps, un lotissement HLM un peu plus haut, mais la campagne est toujours proche, et les oiseaux ne sont jamais partis.
Cet endroit a été le cadre de mes premières pratiques, de la découverte de ma spiritualité, de mes rituels en extérieur et intérieur, de mes balades, des offrandes aux Esprits des Lieux, que je sentais partout. Mon Coin, mon Lieu de Pouvoir, mon Refuge, appelez-le comme vous voulez, était à moins de dix minutes à pieds, par un sentier serpentant dans un sous-bois envahi d'aubépine et de sureau.
Le choc a été immense.
Moi qui était habituée chaque jour à être réveillée par le chant des oiseaux, à dormir avec les grillons en été, le silence capitonné l'hiver, le hululement de la hulotte du coin de temps en temps, le clapotis de la pluie, à passer des journées à savourer l'éclat du soleil, l'odeur des averses, l'éclat du givre et de la neige fraîche, je me suis retrouvée dans un appartement au-dessus d'un feu de signalisation, devant lequel des voitures circulaient jour et nuit dans une puanteur et un boucan épouvantable, et où par-dessus le marché ils construisaient un tramway (trois ans de marteau-piqueur de 6h du matin à 19h, avant de subir le raffut et les clochettes de ce connard de tram toutes les 13 minutes de 5h à 3h du mat'. L'horreur). Le sol vibrait tant les voitures passaient. Les murs se sont fissurés avec le fracas du tramway. Mes plantes, étouffées de pollution, sont mortes. Quand j'aérais, une poussière grasse, noire et visqueuse, recouvrait tout. Dès que je pouvais, je rentrais chez ma mère pour prendre un bol d'air, avant d'y retourner la mort dans l'âme.
J'ai aimé ces années, pourtant. J'adorais mes études, j'adorais ma vie de feignasse (soyons honnête), j'aimais avoir la vingtaine, j'avais plein de copains et de copines, pas un rond mais aucune responsabilité sérieuse, je me fichais éperdument de ne pas savoir quoi faire de ma vie, je croquais l'instant à pleines dents.
Et je pratiquais beaucoup. Peu dans mon appart clermontois trop bruyant, mais dès que je rentrais chez ma mère, je bondissais dans ma campagne. Les vacances duraient 4 mois, j'avais largement le temps d'en profiter (même si je devais honorer mon appart de ma présence de temps en temps pour l'entretenir et travailler un peu).
J'y ai vécu 5 ans, de 2004 à 2009, et ces années ont été les plus prolifiques de ma vie de sorcière. J'y ai appris la solitude (avant, je pratiquais avec Miranda, ma soeurcière rencontrée au lycée), j'ai beaucoup grandi, adapté mes choix spirituels à mon évolution personnelle.
Mais les études coûtaient cher, et à 23 ans, il était décidé que je devais avoir un métier (je n'en voulais pas particulièrement mais bon).
Tout le monde me voyait prof. J'ai passé le concours d'entrée à l'IUFM et j'ai été reçue. À Moulins.
Quelle erreur.
Moulins, c'est un peu tous les désavantages de la ville et de la campagne réunis. La campagne, c'est paisible, mais un peu perdu, parfois. La ville, c'est bruyant, mais dynamique, aussi.
Moulins, c'est perdu et bruyant.
J'y ai passé deux ans dans un minuscule placard de 14 m2, entre une usine désaffectée, un passage à niveau et un hôpital psychiatrique. Deux ans à suivre des études que je détestais déjà, avec des gens que je haïssais encore plus. Plus d'amis, plus de bon temps, plus de sorties, presque plus de vacances. 45h de cours (inutiles et ennuyeux à mourir, répétitifs et abêtissants) par semaine, une préparation au concours abrutissante, des profs complètement nuls et incompétents, des collègues cons comme des chaises (oui, je le dis carrément).
J'ai eu le concours, à moitié pour me barrer de cet enfer.
Ma spiritualité en a pris un coup terrible. Les rares moments où je rentrais chez ma mère, j'étais trop épuisée moralement pour pratiquer. J'allais en forêt trois fois par an (contre trois fois par semaine, avant !). J'étais une chandelle étouffée dans une lanterne sourde.
Mon déménagement a pris 2h. Je suis partie en crachant mon fiel sur ces deux années.
Je prenais beaucoup de photos, avant. De cette période, je n'en ai quasiment pas.
Et puis je suis devenue prof. On en parlera dans la 2ème partie (oui, il y a une 2ème partie, ne pars pas !).
L'avantage (le seul et unique), c'est que j'ai gagné monnaie sonnante et trébuchante.
J'ai pu prendre un appart à moi. Dans ma ville chérie.
Ô caprices du hasard, dans mon quartier chéri.
Un grand et bel appartement dans une petite résidence loin de la route, avec un grand balcon donnant sur un espace vert magnifique, sur lequel j'ai enfin pu cultiver toutes mes plantes, mes chéries, mes empoisonneuses et mes guérisseuses, à l'abri de la pollution, dans un bon air frais. J'y ai vécu trois ans, et même si ces trois années ont été affreuses pour d'autres raisons, mon foyer a pris des airs de cocon douillet et chaleureux, rassurant et agréable. Je me suis sentie chez moi, pour la première fois depuis que j'avais quitté la maison de ma mère.
Ma pratique, étouffée par d'autres choses, a tout de même repris un peu. J'ai surtout développé la magie des plantes, l'herbwitchery, mon cheval de bataille.
Nous avons déménagé.
Deux rues plus loin.
Comme quoi, ce quartier ne veut pas que je m'en aille !
Désormais, depuis juillet, je vis donc dans une maison, une vraie, avec un jardin et un cerisier, un balcon pour les citrouilles de Samhain et pas de voisin accolé, et j'avoue que ma pratique s'en ressent énormément.
Déjà , j'ai une pièce dédiée à mon autel, mes livres et mon matos. Forcément, ça aide.
Ensuite, j'ai cette même proximité avec la campagne, mes lieux, mes bois. Je m'y sens parfaitement à mon aise.
Je ne peux être heureuse qu'à ce prix.
Hey oh, hey oh, on rentre du boulot
Alors là, je rejoins totalement (mais alors TOTALEMENT) l'avis de Loü. Travailler, ça me fait scier.
Sans doute parce que mon premier "vrai" travail (avant j'ai fait des boulots d'étudiants, comme tout le monde, et ça ne compte pas), a été un cauchemar, un enfer, une torture qui a failli me faire crever.
Oui, je sais, on se moque beaucoup des profs en dépression, ces feignasses, toujours en arrêt maladie qui délaissent ces pauv' z'enfants si mignons, alors qu'ils font un métier trop facile où ils sont tout le temps en vacances et finissent à 16h30. Bullshit. La dépression est une salope insidieuse, qui rentre dans votre tête sans que vous vous doutiez de rien et qui vous dévore de l'intérieur. Le premier signe ? Vous êtes sûr(e) d'aller parfaitement bien, et vos collègues disent de vous que vous êtes toujours de bonne humeur. Plus vicieux, tu meurs.
Bref, j'ai passé trois ans à sentir que quelque chose n'allait pas, sans comprendre, sans me douter de l'étendue des dégâts, jusqu'à ce que mon corps commence à s'auto-détruire, d'abord en enchaînant anémie sur anémie et enfin en me faisant perdre l'usage d'une jambe (oui oui)(je l'ai retrouvé, depuis, mais au prix de beaucoup de travail et de souffrance). Je ne vais pas m'étendre sur le sujet, mais je vous laisse imaginer comment ma pratique a encaissé le coup. Elle a tout simplement disparu. Trois ans de vide interstellaire, avec quelques rares épisodes d'une pratique superficielle et sans conviction qui ne méritent même pas d'être mentionnés.
C'est un verbe beaucoup trop fort, vous ne trouvez pas ? Personnellement, je ne SUIS pas mon métier. Je ne le serai jamais. Je SUIS tout un tas de choses, mais honnêtement, si je bosse, c'est pour bouffer et payer les factures.
Du coup, quand on n'a pas de boulot, on n'est pas. Du moins, c'est ce que la société nous impose. Nul n'est plus stigmatisé que le chômeur (qu'on doit maintenant appeler "chercheur d'emploi", s'il vous plait, c'est moins "grave". Hypocrisie bonjour), la mère au foyer (cette feignante qui se sert de ses enfants pour ne rien glander) (puisqu'il est bien connu que les enfants s'élèvent seuls), l'étudiant de plus de 25 ans (cet attardé qui vit encore au crochet de ses parents).
Considérations pourries.
Croyez moi, quand j'ai présenté ma démission (j'ai essuyé 5 refus, c'est quand même formidable, on vous refuse la démission, dans l'Education Nationale), on m'a regardé comme une folle en cavale.
Coooomment ??? Tu veux faire une croix sur un CDI À VIE ??? Mais ça va paaaaas !!! Tu dois absooooolument voir un psy !!!
Psy j'ai vu. Je suis venue, j'ai vu, j'ai rigolu, je suis repartue.
Et j'ai démissionné. Enfin (le pape en a moins chié que moi pour rendre sa mitre).
Et ... aujourd'hui j'ai deux CDD, deux mi-temps minables, un poste de pionne de nuit dans un lycée où je suis traitée comme une merde ignare qui a raté sa vie (et j'adore balancer dans ces cas-là que j'ai un bac +7 et que j'ai été instit pendant trois ans) (dans tes dents, mécréant), et un poste de vacataire pour un journal, un job qui me plait beaucoup et dans lequel je me sens vraiment valorisée, mais qui malheureusement, n'est que temporaire.
Je bosse plus de 65 h par semaine, 7 jours sur 7, pour une paye de misère, et aucune sécurité de l'emploi.
Tout ça pour 18 mois. 16, maintenant.
Et vous savez quoi ?
Je suis heureuse.
Le journalisme, c'est super, prenant mais passionnant, on voit plein de choses, plein de gens, on écrit, on réfléchit à rendre tout ça intéressant pour les lecteurs. On vadrouille beaucoup, souvent en tandem avec un photographe, parfois seul(e) avec son carnet et son appareil. On s'aère la tête. Cet automne, il a fait beau, j'ai fait plein de reportages en plein air, j'ai ramassé des mûres en couvrant une randonnée, acheté des bougies en cire d'abeille en interviewant un producteur de miel, découvert plein de choses et de lieux que je ne connaissais pas. On a des grosses journées, il faut être en forme, mais ça vaut le coup.
Je ne sais pas du tout quoi faire (je suis presque tentée de dire "quand je serai grande") après et je m'en fout. Le travail, ça va ça vient. L'essentiel, c'est d'être en accord avec ce qu'on fait, même si ce n'est que pour un temps. Je ne serai jamais définie par mon travail. Au contraire, telle Chuck Norris, c'est moi qui définit mon travail.
Du coup, avec l'esprit plus libre et le coeur léger, même si j'ai moins de temps pour moi, ma pratique a redécollé depuis que j'ai dit adieu à l'Education Nationale. Elle passe par de petits gestes simples, mais qui comptent plus pour moi que les grands rituels forcés.
Et advienne que pourra ...
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