Mais s'il y a un aspect où le côté bobo peut me rendre pas mal de services, c'est sur la bouffe. Parce que je fais de mon mieux pour consommer raisonnable, bio quand je peux (avec la lucidité qui s'impose, on est d'accord), local dès que possible (idem, j'ai des envies de bananes parfois, je ne suis qu'un primate, après tout), avec le moins possible de saletés dedans. Je suis végétarienne, ça aide (oui, on élève globalement moins facilement les concombres en batterie-sous-antibios que les poulets-à-nuggets). Végétarienne donc, ce qui implique de bannir viande ET poisson (et oui m'sieurs dames, la carpe ne pousse pas dans un carré potager) mais de continuer à consommer du lait (essentiellement pour le fromage, une vie sans fromage c'est comme si Roméo n'aimait plus Virginie) (si tu as reconnu cette référence, je t'aime d'amour. Vachement beaucoup), du miel (parce que c'est trop bon et que je l'achète à un producteur local qui donne des prénoms à ses abeilles. Des PRÉNOMS) et ... des œufs.
Le lait, ça me fait déjà tiquer (on n'est pas censés en boire, séparer le veau de la vache c'est atroce je sais, mais il y a le FROMAGE ...) mais alors les œufs ... C'est encore pire. Quand je vois les conditions dans lesquelles sont élevées les poules pondeuses, même bios, outre le fait que mon côté animal lover se réveille en grinçant du museau, mon côté système immunitaire de merde freine des quatre fers.
Du coup, j'ai fait ma bobo. Ma grosse bobo.
J'ai acheté des poules.
Voici donc Francesca, la rouquine gravure de mode qui se la pète grave, et Abigail, la petite noire qui joue l'innocente mais qui cache un cerveau diabolique derrière sa petite crête fuchsia.
Je suis allée les chercher il y a quelques semaines, après avoir bricolé un poulailler dans le grand abri de jardin qui ne nous servait à rien, avec du grillage, des tasseaux de bois et beaucoup d'huile de coude (et un papa habitué à mes lubies de sale BOBO). Finances de fauchée obligent, tout est de la récup : elles dorment sur une vieille table de poker récupérée pour 4€ à Emmaüs, avec une petite échelle bricolée avec des chutes de tringles à rideau et elles ont récupéré ma vieille cuvette à épluchures et les gamelles de mon ex-chat.
Et ce sont les reines du monde.
Tous les matins (enfin, tous les midis, mesdames sont des adeptes de la grasse mat, j'ai pas intérêt à aller les réveiller avant 10h bien sonnés) (encore un préjugé sur lequel elles crachent élégamment), je trouve, cadeau miraculeux, un (ou deux parfois !) œuf sagement déposé dans la paille, tout chaud, tout rond, tout propre, tout bio. Et tout ça en échange d'une poignée de granulés, d'un quignon de pain sec de temps en temps, d'épluchures qui autrement auraient finies à la poubelle, et surtout de cette §$£*µ%# de mélisse officinale qui pousse comme du chiendent dans mon jardin et qu'elles arrachent avec plus d'efficacité que mon rotofil. Le bonheur.
Je voulais des poules depuis longtemps (bobo, je vous dis), et vraiment je ne regrette pas. C'est sans doute l'animal le moins chiant, le plus autonome et le plus généreux que je connaisse. Vous en avez beaucoup, vous, qui vous nourrissent alors que vous leur balancez vos déchets ? Qui vous filent, comme ça, gratos, de quoi satisfaire vos besoins en protéines ? Moi, jusque là, j'ai eu une lapine qui exige qu'on lui coupe ses endives en petits morceaux et un cochon d'Inde qui me balance ses crottes à la figure en signe de gratitude alors qu'il mange des légumes bios deux fois par jour.
Disons que ça remet pas mal de choses en perspective. Notamment l'inutilité flagrante (à mes yeux, attention je n'accuse personne et je ne juge pas les habitudes alimentaires de chacun) de manger leur chair. C'est un peu comme si je bouffais la terre dans laquelle je pourrais faire pousser des carottes, au fond. Et je crois que si tout le monde savait à quel point c'est simple et sans contraintes, les poules, elles seraient bien plus nombreuses dans les foyers.
Pour vous donner mon exemple, techniquement, elles me prennent à peine 15 minutes de mon temps par jour. Un pet de chat, quoi. Je vais ouvrir le poulailler vers midi, je récupère les œufs, je nettoie les gamelles d'eau (que je remplis avec de l'eau fraîche) et je donne la ration de nourriture journalière, je gratouille le dos avec des gouzigouzi un peu gagas. Le soir, je vais de nouveau nettoyer les gamelles d'eau et les remplir pour la soirée et le matin suivant. Deux fois par semaine, je re-paille leur nid. Je change la litière une fois par mois, que j'étale au pied de mes tomates, de mes aromatiques et/ou de mes fleurs pour leur donner de l'azote. Zéro perte. Le reste du temps, elles vivent leur petite vie de poules BFF.
Mais ce que je préfère, c'est quand, à 22h tapantes, après un dernier regard vers le ciel ("quelle heure il est tu crois ?" "ouuuuuh trop-sombre-et-demi") elles rentrent sagement dans leur poulailler, grimpent sur leur table et s'y lovent avec un bon gros soupir d'aise.
Quelle vie.